samedi 28 avril 2018

L’arc de lumière de Lee Bae à la Fondation Maeght

Le cheminement d’un des plus grands artistes coréens


Si un visiteur s’aventure dans l’exposition actuelle de La Fondation Maeght, sans regarder la magnifique vidéo Combustion de la maison de la lune, il risque de passer à côté d’une belle rencontre avec l’artiste coréen Lee Bae et de n’y voir que du bois brûlé, il appréciera le côté esthétique du travail, les variations de couleurs, mais passera peut- être à côté de sa charge spirituelle.

Lee Bae est né en 1956, en Corée du sud, d’une famille de paysans, il fait ses études à l’université des Beaux-Arts de Séoul et en 1990 s’installe à Paris où il vit. C’est là, en prenant du recul qu’il trouvera son identité. Tout en travaillant dans l’atelier de Lee Ufan, Il cherche alors une matière peu onéreuse pour travailler et essaie par hasard le charbon de bois, le charbon composant de l’encre de Chine, qui lui rappelle ses origines, le charbon source de découvertes, le charbon et sa valeur symbolique « le charbon n’est pas que noir, il est profondeur, il a des centaines de couleurs, il y a les noirs froids, les noirs chauds, des noirs comme la cendre, des noirs brillants, des noirs mats, il y a beaucoup de nuances ». Lee Bae est devenu l’un des plus grands artistes coréens.



Avant le charbon, il y a le feu et La Combustion de la Maison de la Lune placée à l’ouverture de l’exposition nous en dévoile la magie. Ce rituel fascinant filmé, dédié à la première pleine lune de Janvier, est placé là en guise de protection et purification, il y a toujours une protection à l’entrée des temples coréens. Ressentir et écouter le crépitement de ce grand brasier de branches et troncs de pins accumulés au cours de l’année dont les magnifiques flammes transportent à travers les nuées célestes, les souhaits des habitants. Ces images brûlantes viennent de Cheongdo, la ville natale de Lee Bae, où la tradition se poursuit, tradition qui rappelle nos feux de la St Jean.

A côté une installation de dessins, une série d’une trentaine de kakis, en cours de dessèchement et une grande œuvre Issu du feu, aux multiples variations de noirs, aux délicates moirures. Nous sommes au cœur de la réflexion spirituelle et philosophique de l’artiste, avec cet aller et retour à la nature. Ensuite même un visiteur pressé pourra remarquer la fluidité du parcours, en découvrant les œuvres datées de 1990 jusqu’à nos jours, subtilement choisies ou créées pour le lieu, en fonction de la lumière, des ouvertures et de la végétation environnante.



Pour cette exposition Plus de lumière, Lee Bae est entré en religion avec l’architecture de la Fondation Maeght, ses toits semblables à ceux des temples de son enfance en Corée, avec les forêts et les pins courbés, l’air et la lumière de St Paul. C’est un lieu de prière, un monastère, où les œuvres prennent profondeur d’âme. Il aime parler de l’homme qui marche de Giacometti, cette sculpture présentée dans l’agitation newyorkaise donne l’impression de quelqu’un qui marche très vite, de quelqu’un de très stressé. Cette même sculpture ici, est une créature spirituelle qui vit dans un monastère, marche lentement dans un lieu chargé d’une dimension et profondeur spirituelles.

C’est pourquoi Lee Bae ouvre l’exposition avec le rite propitiatoire qui célèbre le nouvel an, qui purifie et symbolise la renaissance à travers le feu, le pin étant le symbole de l’âme en Corée, Le pin omniprésent autour de la Fondation. Lee Bae ne s’approprie pas le lieu, mais révèle la lumière de cet espace, la fait circuler avec les vibrations de ses œuvres et redonne à la Fondation Maeght sa vocation première de recueillement. Il relie cette lumière au souvenir mental de son pays, créant un arc de lumière, entre le lieu et l’artiste, entre une culture et une autre, le temps et l’espace. Dans cet espace règne le noir et le blanc, la lumière et l’ombre, un paysage intérieur en relation au monde. Les peintures, sculptures, dessins et installations sont spécialement choisies ou construites pour la proximité de la nature, liés à la boucle du temps, l’effacement, la disparition, le renouveau, la place de l’être humain, de l’artiste du Coréen qu’il est. Sculptures et toiles se répondent.



Au fil de la visite plusieurs séries sont décelables. Pour les sculptures de bois brûlé, l’artiste a utilisé du pin de Corée passé à 11OO degrés dans un four de céramiste, ensuite le charbon très fragile et léger est entouré d’élastique noir. Plusieurs de ces sculptures sont placées à l’extérieur adossées à des pins qui se dressent vers le ciel et visibles par les ouvertures, la série Issu du feu comporte peintures, sculptures et installations de même que la série Paysage, les dernières œuvres sans titre, sont des œuvres résultant d’un élan inconscient et spontané, des fragments de mémoire du corps révélés par la répétition du geste.



A la question s’il pense abandonner le charbon pour d’autres matériaux, Lee Bae insiste sur la nécessité pour lui d’aller plus loin avec ce matériau, à partir de sa sensibilité, de la signification du charbon et l’importance de la répétition du geste dans la culture coréenne. On entre en contemplation en répétant explique- t- il, tout comme les moines, les musiciens et chaque répétition est différente. C’est la répétition qui permet à l’artiste d’amener son univers créatif à maturité. Par la répétition on s’oublie soit même, on perd son identité et il n’y a plus que la répétition qui reste. On dirait que l’on fait naître, mourir, et renaître le geste créatif.




 
Lee Bae dans cette exposition instaure un nouveau dialogue entre ici et là. Il établit une rencontre avec les pins de St Paul et les pins coréens et trace un arc de lumière sur le lieu, lui apportant une dimension spirituelle propre à la culture asiatique qui rejoint la nature première de la Fondation Maeght. Le transfert des arbres et leurs combustions correspond parfaitement au mode de vie de Lee Bae, à ses allers et venues de la France à son pays d’origine.

BRIGITTE CHERY Nice 20 avril 2018

Photo BEATRICE HEYLIGERS



Exposition : LEE BEA Plus de lumière à La Fondation Maeght
06570 Saint Paul de Vence du 24 mars au 10 juin 2018
Ouverture tous les jours 10h-18h
Tel : 33 04 93 32 81 63

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