lundi 12 février 2018

Modigliani à la Tate Modern, Londres


L’œuvre de l’artiste juif italien Modigliani est à découvrir à Londres

L'artiste a couru les jupons et connu l'ivresse – en 35 ans, il aura créé un travail impressionnant à découvrir actuellement dans une exposition à succès au Tate Modern.

Exposition : jusqu'au 2 avril 2018

   
Amadeo Modigliani dans atelier (Crédit : ©RMN-Grand Palais musée de l’Orangerie/Archives Alain Bouret, image Dominique Couto)

Londres — Le peintre et sculpteur juif italien Amedeo Modigliani a mené une vie d’excès. Accro à l’alcool, aux drogues et aux femmes, il est mort jeune et pauvre à Paris en 1920, à l’âge de 35 ans, d’une méningite tuberculeuse. Malgré cela, la production de Modigliani a été considérable et ses oeuvres font actuellement l’objet d’une exposition qui rencontre un grand succès au Tate Modern de Londres. Cette rétrospective majeure est l’exposition de Modigliani la plus complète jamais présentée au Royaume-Uni. Avec plus de 100 œuvres, elle rassemble une gamme de ses portraits, de ses paysages, et douze de ses nus emblématiques, langoureux de femmes, dont certains n’ont jamais été présentés au Royaume-Uni auparavant.

Portrait d’une jeune femme’ (1918) d’Amadeo Modigliani. (Crédit : Galerie d’art de l’université de Yale



Ses personnalités séductrices, comme « Nu allongé sur un coussin blanc » (1917), « Nu féminin » (1916) et « Nu assis » (1916) constituent un grand nombre de ses oeuvres les plus connues aujourd’hui. Mais au début du 20e siècle, ces peintures provocatrices se sont avérées controversées, choquant l’establishment français.

En 1917, ces tableaux ont été inclus dans la seule exposition solo de Modigliani de toute sa vie, mais ont subi la censure pour indécence : un commissaire s’est opposé à la représentation de poils pubiens par le peintre, trouvant cela offensant.

Toutefois, l’inclusion de ces peintures est l’un des points forts de l’exposition. Les modèles apparaissent détendus, leurs corps enhardis et plantureux et leurs yeux sombres en forme d’amande observent avec une confiance pleine de coquetterie.

La sensualité de ces personnages suggèrent des changements dans les vies de ces jeunes femmes, qui devenaient à cette époque de plus en plus indépendantes.

Selon la conservatrice Nancy Ireson, ces femmes se trouvaient alors dans le courant des années 1910 et la décision de poser en modèle était fondée sur des raisons économiques. Les modèles étaient payées cinq francs, dit Ireson, ce qui représentait approximativement deux fois le salaire quotidien d’une ouvrière à l’usine durant la Première guerre mondiale. 

Nu », (1917) par Amadeo Modigliani. (Autorisation : Tate Modern)


Né en 1884 à Livourne au sein d’une famille juive séfarade de la classe moyenne, Modigliani s’était installé à Paris en 1906 pour développer sa carrière.

Le Paris bohémien et cosmopolitain était au centre de l’art dans le monde et Modigliani avait été « stupéfait par ce qu’il avait perçu comme la collision des générations », explique Ireson. La ville était un lieu de plaisirs et avait offert au peintre de nouvelles idées et opinions qui avaient remis en question ses certitudes. Il avait rencontré des poètes, des auteurs et des musiciens et s’était imprégné de l’influence des travaux d’autres artistes, comme Cézanne, alors récemment décédé, ainsi que de contemporains comme Toulouse-Lautrec et Picasso.



‘La femme au chignon’ (1911-1912) par Amadeo Modigliani. (Crédit : Merzbacher Kunststiftung)



Modigliani changea ainsi son style traditionnel pour quelque chose de plus abstrait et des couleurs vives. « Vous ne pouvez pas imaginer les nouveaux thèmes que j’ai imaginés en violet, orange foncé et ocre », avait-t-il déclaré.

Mais Modigliani avait également de fortes ambitions dans le domaine de la sculpture, et une des galeries de l’exposition dévoile aujourd’hui ses têtes, produites entre 1911 et 1913. La forme de ces sculptures reflète son intérêt pour l’art égyptien, cambodgien et africain.

Lors d’une visite dans son atelier, le sculpteur britannique Jacob Epstein, un ami de Modigliani, a vu sa série de têtes sculptées et a plus tard déclaré : « La nuit, il entreposait des bougies l’une sur l’autre et il obtenait un effet comparable à celui d’un temple primitif. Une légende du milieu a affirmé que Modigliani, sous l’influence du haschisch, avait étreint ses sculptures. »

Bien que les aspirations de Modigliani en tant que sculpteur aient été de courte durée en raison de son manque de ressources financières et de sa mauvaise santé – la poussière résultant de la gravure de la pierre aurait pu aggraver ses problèmes respiratoires –, le style qu’il avait développé avec de longs cous, des visages ovales et allongés et des yeux en amande se caractériserait plus tard dans ses peintures.

Modigliani a poursuivi son incursion dans la pierre via ses portraits, et plusieurs salles sont consacrées aux peintures de ses clients et de ses amis, dont beaucoup étaient d’autres artistes vivant à Paris.

Parmi eux figurent Juan Gris, Diego Rivera et Pablo Picasso ainsi que d’autres Juifs tels que Moïse Kisling, le sculpteur cubiste lituanien Jacques Lipchitz, et le poète et peintre Max Jacob, avec lequel Modigliani discutait souvent de foi. Jacob fait l’objet d’une série de portraits et d’un dessin en graphite, achevé en 1915, dédicacé par Modigliani à son ami proche et « frère ».
Amedeo Modigliani, Léopold Zborowski, Anders Osterlind et Nanic Osterlind, Haut-de-Cagnes, 1919. (Crédit : Association Anders Osterlind)





Modigliani faisait partie de la communauté artistique juive, explique la co-commissaire Simonetta Fraquelli. « Il était très fier d’être Juif et ne le cachait pas. »

Mais selon le Jewish Chronicle, Fraquelli a également affirmé que Modigliani était légèrement différent de ses contemporains, dans le sens où c’est à Paris qu’il a été pour la première fois victime de préjugés – alors que beaucoup d’artistes juifs avaient quitté l’Europe de l’Est à cause de l’antisémitisme.

La judéité de Modigliani est abordée dans l’exposition comme faisant partie intégrante de son histoire mais ne s’y concentre pas exclusivement, explique Ireson. Les conservateurs ont choisi de ne pas explorer l’expérience spécifique de Modigliani face à l’antisémitisme, affirme Ireson, ayant estimé que beaucoup avait déjà été écrit par des universitaires à ce sujet.

Bien que Modigliani ait connu de nombreuses personnes, on retrouve à plusieurs reprises les mêmes individus dans son œuvre.

Dans ses dernières années, pour ses modèles, il s’est surtout tourné vers son cercle intime d’amis proches et d’amantes. Parmi eux figuraient le poète juif, écrivain et marchand d’art Léopold Zborowki ainsi que sa compagne Anna Sierzpowski, connue sous le nom de Hanka.


‘Jeanne Hébuterne’ (1919) d’Amedeo Modigliani. (Crédit : The Metropolitan Museum of Art, New York)



Malgré une succession de relations tumultueuses avec les femmes, Jeanne Hébuterne deviendra l’une des personnes les plus importantes de sa vie. Elle était la mère de son enfant et le modèle préféré et le plus régulier de Modigliani – il l’a peinte à plus de 20 reprises.

Le couple s’est rencontré alors qu’elle avait 19 ans et était étudiante en art. Ils ont emménagé ensemble contre la volonté de ses parents catholiques. L’un des derniers portraits de Jeanne (‘Jeanne Hébuterne’, 1919) la représente assise, un doigt mince posé sur sa joue, le reste de sa main se recourbant délicatement sous son menton.

Enfin grâce à l’utilisation d’un casque, les visiteurs peuvent pénétrer dans le dernier atelier de Modigliani à Paris. Utilisée pour la première fois au Tate, cette recréation immersive et captivante incorpore également des récits à la première personne de ceux qui connaissaient l’artiste.

L’exposition consacrée à Modigliani se poursuit jusqu’au 2 avril 2018 au Tate Modern de Londres.



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