Commencer le vernissage d’une exposition d’art contemporain en bloquant une rue, avec une minute de silence et avec la fanfare municipale qui interprète la Marseillaise, voilà qui est inusité. Mais ce 14 octobre, devant le 22 rue de France à Nice, la foule se pressait pour rendre un hommage au héros Jean Moulin , soixante-dix ans après sa mort, à l’endroit même où se situait sa galerie, la Galerie Romanin.
Fidèle à la tradition d’exposer des artistes vivants conformément aux souhaits des ses fondateurs Henri Matisse et Pierre Bonnard, l’Union Méditerranéenne pour l’Art Moderne (UMAM) avait choisi de demander à 39 artistes de créer des œuvres en hommage au héros. Il suffisait ensuite de traverser la rue pour, au numéro 21, grimper un étage et se retrouver à Vision Future pour découvrir une sélection d’œuvres contemporaines créées pour l’événement.
Là, Richard Pogliano, membre du conseil d’administration de l’UMAM, ajouta à l’émotion avec un discours d’une grande beauté (voir ci après) qui saisit réellement l’assistance. Puis la présidente de l’UMAM, Simone Dibo-Cohen, expliqua le lien profond qui unit l’association à Jean Moulin. En effet ce sont les fondateurs de l’UMAM qui furent les premiers exposés dans sa galerie. La présidente remercia sous des applaudissements nourris ceux qui, bénévolement, avaient œuvré pour ces expositions (Voir le discours ci-après). Enfin ce fut François Rabut, conseiller municipal, qui représentait Christian Estrosi, le député-Maire de Nice, qui invita le public à visiter l’exposition.
Les visiteurs et les artistes empruntèrent alors le petit train urbain pour rejoindre le deuxième lieu d’exposition, la Barclays, à la rue Alphonse Karr où se pressaient plus de 600 personnes.
La beauté et l’intelligence des œuvres exposées jusqu’au mois d’avril témoignent de la sensibilité de leurs créateurs et montre que pour eux le sacrifice de Jean Moulin n’a pas été vain, qu’ils ont été heureux d’y participer et que notre liberté d’aujourd’hui et leur liberté d’expression sont les fruits de son sacrifice à la nation.
Outre de nombreux artistes on pouvait également rencontrer, Madame Sylvie Cendre, sous-préfète de Nice-Montagne, Monsieur Roland Constant, maire-adjoint, délégué à la culture à Cagnes-sur-Mer, Christine Petruccelli et Lucette Romor, maires-adjointes à Villefranche-sur-Mer.
Christian Gallo - © Le Ficanas ®
Photographies : Michel Castellani
Richard Pogliano - Simone Dibo-Cohen - François Rabut |
Le discours de Madame Simone Dibo-Cohen, Présidente de l’UMAM :
« Permettez-moi un petit rappel historique. L’Union Méditerranéenne pour l’Art Moderne est une association culturelle qui a été créée en 1946 par Henri Matisse, Pierre Bonnard et quelques autres. C’est dans le prolongement de l’exposition en hommage à Matisse que nous avions présentée l’été dernier que l’UMAM a choisi de rendre cet hommage à Jean Moulin. C’est parce qu’un lien très fort nous unit à lui.
Jean Moulin ouvrit, ici même, de l’autre côté de la rue, au numéro 22, la galerie Romanin du nom de son pseudonyme d’artiste. Deux de ses amis vinrent y exposer, Henri Matisse et Pierre Bonnard, nos parrains fondateurs. Ce n’était pas une couverture pour son activité de résistance, mais son véritable métier, comme le signale son secrétaire de l’époque Daniel Cordier.
Artiste ? Il était un bon dessinateur, plein d’humour, qui caricaturait son entourage et dont les œuvres sont au musée de Béziers. D’ailleurs, le conservateur de ce musée nous avait proposé des documents relatifs à cette période. Nous avons choisi en lieu et place de présenter des artistes contemporains comme Virginie Broquet qui a créé des dessins dans l’esprit même de Jean Moulin et que vous allez voir tout à l’heure.
Créer ? Effectivement car comme vous le savez l’UMAM n’expose que des artistes vivants et ce sont 39 d’entre eux qui, volontairement, ont décidé de nous accompagner en présentant des créations récentes ou conçues spécialement pour cet hommage. Certains comme Kayetan, Jos Van Der Zijden et Dominique Tardler viennent de loin et ont traversé la France pour être présents sur ces cimaises.
D’autres sont plus proches de nous et souvent vous les connaissez. Mais tous se sont passionnés par la vie exceptionnelle de ce héros et ont créé, parfois avec un simple mot comme Ben, parfois avec des photos dramatiques comme Florent Mattei, parfois avec des dessins inquiétants comme François Paris ou encore Gérald Panighi et Marie-Eve Mèstre des œuvres qui risquent de vous mettre mal à l’aise. Mais les conditions de la mort de Jean Moulin nous ne les avons pas oubliées et nous en frissonnons encore aujourd’hui.
Quand on parle de drame dans le milieu artistique on pense souvent au théâtre ou au cinéma. On oublie l’art plastique. Pourtant le sujet est traité depuis des siècles et le meilleur exemple n’est-il pas celui de Pablo Picasso avec Guernica ? Et pensez-vous que Jean Moulin ne connaissait pas ce bombardement du 26 avril 1937 par les nazis ? Sûrement, car pour défendre la France, il fit don de sa vie.
En attendant, ces 39 artistes vont vous surprendre avec leurs interprétations de cet hommage. L’UMAM les remercie, comme l’UMAM remercie ses membres, ceux qui nous ont aidés, en particulier notre vice-président Christian Gallo, notre secrétaire Guy Maurin, Richard Pogliano, Nadine Istria, et surtout ceux qui nous abritent pour quelques mois à savoir Vision Future, qui nous permet d’être ici, et Claudine Iotti directrice de la Barclays où nous nous rendrons ensuite. Mais également les directeurs des Barclays de Cannes, Fréjus, Menton et Cagnes-sur-Mer où les vernissages vont se dérouler jusqu’au mois de décembre.
A propos de Cagnes où débutera, au château-musée Grimaldi, la prochaine biennale de l’UMAM le 6 juin prochain et qui confirmera son aspect international, signalons qu’il sera remis à cette occasion et définitivement un prix Jean Moulin à un artiste.
Le petit train de Nice va vous transporter à la Barclays où vous attendent la suite de l’exposition, un concert de violoncelles avec mesdemoiselles Zerbib et Pere et un cocktail.
Merci a tous d’être avec nous, merci d’être venus. »
Minute de silence |
L’hommage rendu par Richard Pogliano, Membre du Conseil de l’UMAM.
« Mesdames, Messieurs,
Rendre hommage à Jean Moulin, c’est rendre hommage au Jean Moulin que nous connaissons tous, le Résistant, celui des livres d’histoire.
Et il est vrai que c’est à ce Jean Moulin là que notre mémoire collective fait le plus souvent appel.
A ce héros par excellence, unificateur de la résistance française, représentant personnel du Général de Gaulle dans la France occupée et qui conduisit sa mission jusqu’au sacrifice de sa vie.
A ce Jean Moulin qui, voici plus de 70 ans, partit, par un temps de décembre sans doute semblable à celui-ci, pour être parachuté sur la terre de Provence, et devenir le chef d'un peuple de la nuit.
Un peuple d’ombres qu’il anima et qu’il symbolise. Avec ce sentiment qui appelle la légende, sans lequel la Résistance n'eût jamais existé, et qui est simplement l'accent invincible de la fraternité.
Mais ce soir, à 18h30, ici, 70 ans et quatre mois après sa mort, le 8 juillet 1943 à Metz, lors de son transfert en Allemagne, l’Union Méditerranéenne pour l’Art Moderne a voulu rendre hommage à un autre Jean Moulin, le même, bien sûr, mais différent…
Nous avons voulu rendre hommage à l’artiste, et au-delà à l’homme, à ce Jean Moulin attaché à sa Provence, sportif, aimant la vie et… les femmes, diplômé de droit, doué d’un joli coup de crayon, galeriste et marchand d’art.
Jean Moulin est né le 20 juin 1899 à Béziers (son père y était Conseiller Général). Son premier dessin fut, à l’âge de 6 ans, La Promenade des Anglais, et sa première caricature a été publiée à l’âge de 16 ans, dans la revue Baïonnette.
Il fait des études de droit à la Faculté de Montpellier, travaille dans différents cabinets, préfectoraux, ministériels, est nommé Sous-préfet en 1930, Préfet en 1936. Enfin, il est nommé Délégué du Comité National pour la France Libre le 24.12.1941, jour auquel je faisais allusion précédemment.
Mais parallèlement, il continue de dessiner, de publier, d’exposer.
C’est la deuxième vie de Jean Moulin qui ne fut pas seulement un artiste-dessinateur et un collectionneur, mais le responsable d'une galerie d'art contemporain.
L’art était, pour lui, un moyen de percer un mystère autrement plus profond, plus important que celui du simple échange,
de la création : le mystère de la condition humaine.
Comme une lumière que l’on cherche et qui doit éclairer.
Au milieu de la tyrannie et des barbaries du XX° siècle, Jean Moulin cherche, cherche encore et toujours, sans jamais renoncer,
toujours par l’art, mais aussi dans la résistance.
Il cherche comment n’être ni bourreau ni victime, ni maître ni esclave.
Jean Moulin ouvrit le 16 octobre 1942, une galerie à Nice,
la Galerie Romanin. Elle était située, juste à côté, au 22 de la rue de France.
Romanin était le pseudonyme que l’ancien préfet Jean Moulin avait choisi en 1922, pour signer les dessins satiriques qu’il exposait ou publiait.
Et puis, le 9 février 1943, il y a soixante-dix ans, à 15 h précisément, Jean Moulin était présent à Nice, sans qu'on puisse imaginer sa véritable identité, celle d'un grand dirigeant de la Résistance.
Il inaugurait incognito la première exposition de peintures contemporaines de la galerie d'art qu'il venait de créer, la galerie Romanin (qui lui servait de "couverture" pour ses multiples activités et déplacements).
S'y trouvaient exposés des travaux de Matisse, Bonnard, Degas, Chirico, Dufy, Friesz, Kinsling, Laprade, Rouault, Severini, Utrillo et Valadon.
C’est vous dire, la qualité et le haut niveau de cette exposition.
Jean Moulin réalisa pendant moins d’un semestre, entre février et juin 1943, une étonnante série d’expositions.
S'il avait pu continuer cette aventure, Jean Moulin aurait vraisemblablement eu l'occasion d'exposer à Nice tous les grands maîtres contemporains.
Car il créait une véritable activité professionnelle et artistique, autour de la galerie.
Son secrétaire dans la Résistance, Daniel Cordier, soulignera même que Jean Moulin n’était pas un résistant qui avait une galerie, mais un galeriste qui fit de la résistance.
Et cette galerie, bien sûr, fut aussi une couverture pour maintenir les contacts avec les résistants de la région.
Comme ce jeudi 27 mai 1943, où Jean Moulin est particulièrement heureux, très heureux, dans ses deux vies :
- il vient de réunir le Conseil National de la Résistance et l’unification se passe le mieux possible,
- et surtout, il a réussi sa négociation pour la venue de gouaches de Kandinsky à sa galerie de Nice.
Ce soir-là, Jean Moulin, est fou de joie, particulièrement détendu.
Il offrit même à son secrétaire un ouvrage sur l’Histoire de l'art moderne.
Il lui parla longuement de l’art, de la forte et vive estime qu’il portait aux "grands artistes de l’art moderne", je le cite, « qui nous aident à déchiffrer le monde dans lequel nous vivons. Nous avons la chance d'être les contemporains de Braque, Kandinsky, Matisse, Mondrian, Picasso. Si nous voulons comprendre notre époque, il faut regarder leurs œuvres ».
L’ultime exposition de la galerie Romanin fut annoncée par voie d’affiche du 3 au 30 juin 1943. Elle ne concernait pas encore Vassili Kandinsky : elle réunissait des aquarelles et des dessins de Renoir, Utrillo, Picasso et Valadon.
Dix-huit jours après cette inauguration, le 21 juin 1943, c’était l’arrestation de Caluire : l’aventure s’interrompait brusquement.
Mais le « testament » de l’homme Jean Moulin, dans ses propos et dans ses écrits, restera.
Jean Moulin place la liberté de pensée et d’expression au dessus de tout, de sa vie même. Il veut se battre pour ses valeurs, celles de la République, Liberté, Egalité, Fraternité. Mais aussi pour l’intégrité contre la corruption, la vérité contre le mensonge. Et la liberté, toujours.
Jean Moulin combat tous les obscurantismes et tous les absolutismes. Il se dresse contre tous les bras armés des totalitarismes, contre tous les grands inquisiteurs. Pour l’équité et la dignité de l’homme. Pour la justice et la paix. Et toujours pour être libre, et vivre libre.
Et pour les obtenir, l’homme doit se révolter. Jean Moulin se révolte, en se battant, pour l’art, pour la France. Car la grandeur de la révolte est d’abord dans la puissance des forces auxquelles elle s’oppose.
Nous honorons aujourd’hui la pensée de cet homme – car ce fut d’abord un homme avant que d’être artiste et résistant…
Un homme qui aimait l’art et la France.
Jean Moulin était fidèle à l’un comme à l’autre.
C’est pour communier dans cette fidélité que nous sommes réunis aujourd’hui.
Et, au moment de sa mort, Mesdames, Messieurs, Jean Moulin était la France. »
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