lundi 2 juin 2014

UMAM : L’art, la violence et la tolérance.

Tout au long de son histoire, la Méditerranée a vécu en état de guerre. Soit les conflits avaient lieu d’une rive à l’autre, soit ils se situaient dans les pays qui bordent cette mer nourricière, berceau de la civilisation. Les derniers en Europe furent dans les Balkans et aujourd’hui c’est la Méditerranée orientale qui abrite les tensions les plus extrêmes.

L’artiste, le créateur réagit-il et sa parole vaut-elle celle des politiques ? Son expression est-elle la même, ou bien plus violente ou plus explicite ? Les mots « violence » et « art » se sont toujours côtoyés ; comme le résultat d’un monde imparfait qui, s’il s’exprime au travers de la parole comme le furent à l’origine les tragédies grecques, va être le moyen d’expression des plasticiens qui bordent notre mare nostrum. Les images, l’expression picturale, font souvent plus mal que les coups et poussent irrésistiblement le spectateur à réfléchir sur son univers.

Mais si l’artiste exprime cette violence, il cherche par son témoignage à pousser le spectateur, non pas vers l’acceptation d’un état de fait, mais vers la tolérance vis-à-vis des autres.

Et c’est justement parce que nous vivons actuellement un période où les extrémismes, les frénésies et les excès se font sentir sur tout les rivages de la Méditerranée que l’Union Méditerranéenne pour l’Art Moderne présente au château-musée de Cagnes-sur-Mer une biennale où la violence du monde a été livrée aux artistes méditerranéens.

Conformément aux souhaits de Matisse et Bonnard, l’UMAM, faisant fi d’un art qui se contente d’être esthétique et décoratif, a choisi des œuvres et des créateurs qui représentent une violence, mais aussi une espérance. De ce fait, il y a trois niveaux de lecture : le premier peut être superficiel et de ce fait traumatisant pour quelques ilotes, le deuxième réfléchi où chaque œuvre présentée questionne et pousse à une véritable introspection, le troisième admiratif face à la qualité incontestable des œuvres créées.

Dans une salle qui lui est consacrée l’italien Mauro Corda a installé « La boucherie », des corps grandeur nature en bronze, pendus, nous font ressentir cette violence physique subie, aboutissement d’une torture sans pitié ; mais, plus loin, ses Musulmanes, quatre bronze d’une tête de femme qui se dévoile, nous offrent l’espoir.

Mauro Corda - La boucherie
Un berceau en bronze, vide, du génois Piergiorgo Colombara, nous expédie dans l’absence, dans le manque de l’autre. Mais dans la même salle, deux œuvres du syrien Mustafa Ali nous font comprendre par cet artiste connu pour ses réalisations monumentales le poids et la fragilité du monde. Ses bronzes, dominés par des poutres de bois, démontrent que de Dachau au Moyen-Orient la Méditerranée a du mal à se débarrasser de la souffrance.

Une salle dénommée « espagnole » au château, nous plonge dans le noir. Le turc Nurcan Giz a envahi les murs avec un langage abstrait où le maître exprime sa sensibilité au travers de formes fécondes, empâtées et pourtant lyriques. Il est accompagné par deux photographies repeintes de Denis Rouvre et David Nal-Vad, véritable dialogue charnel et silencieux.

Dans la même salle un œuvre magistrale du niçois Thomas Bambini, intitulée « Ritual », nous propose par son hyper réalisme une situation où se mélangent des corps noirs et blancs.

Si certains ne veulent pas voir cette violence, ils feront comme la « Dona » de l’espagnole Carme Albaigès et se banderont les yeux. Face à elle, une installation impressionnante des monégasques Héléna Krajewicz et Rob Rowlands fait basculer les colonnes des galeries de la cour centrale du château qui s’écrasent sur le sol en multitude d’éléments colorés. 

Héléna Krajewicz et Rob Rowlands
Mais au delà de ces angoisses réelles, il y a l’espoir : le monde merveilleux des photos de Bernard Langestein avec des images envoutantes, fascinantes et poétiques. Puis une œuvre carrément iconoclaste de Marc Alberghina qui incontestablement va faire grincer des dents : la céramique « Tragédie » représente un Christ cassé sur sa croix ; provocation ou alors tolérance extrême face à une exaltation du martyr ? La religion est source de création de tout temps, mais elle est trop souvent à l’origine de la violence méditerranéenne. Et c’est là l’exploit de cette biennale d’oser faire cohabiter des artistes chrétiens, musulmans, juifs, athées. De toutes façons, tous se retrouveront dans « Il banchetto di noze » de Benedetta Bonichi, mais après leur disparition de la planète.

L’espoir c’est aussi l’installation du marseillais Nicolas Rubistein où des cerveaux s’envolent vers les cieux : véritable Pentecôte de l’art, inspirée d’une fable de Télémaque. Le piano situé au centre c’est l’enfant et son hérédité qui s'évapore.

Juste à côté un triptyque monumental de Paolo Topy Rossetto utilise la banalité et la vérité la plus quotidienne avec une esthétique parfaite qui nous replonge dans une réalité crue, sans limite, sans apparat, mais encore plus violente de ce fait. Dans la même salle pourtant, à côté d’une cible d’Olivier Roche, le monde change et évolue : le vénézuélien Manuel Mérida, connu pour son travail de scénographe pour les grandes marques françaises, fait tourner une roue impressionnante où des pigments rouges recréent en permanence de nouveaux territoires : fascinant !

L’espoir s’est pourtant exprimé en prélude sur le bord de mer à Cagnes. Le célèbre sculpteur Stefano Bombardieri a installé un immense rhinocéros suspendu par des sangles. L’œuvre intitulée « Il peso del tempo sospeso/rinoceronte » est inspirée du film de Fellini « E la nave va » et exprime une métaphore sur la condition humaine. Bombardieri explique : « Je représente le besoin que nous ressentons de suspendre le temps dans les périodes de doutes et de douleurs », comme notre époque. Si on retrouve le rhinocéros au château c’est dans sa plus belle salle qu’il a installé des dizaines de pompes à pétrole, des révolvers suspendus qui se dirigent vers nos regards et un crane en bronze, imitant le caoutchouc (fabriqué avec du pétrole), bref tous les symboles de la société de consommation dirigée depuis des lustres par cette guerre économique.

75 artistes répartis entre le château de Cagnes, et à partir du 26 juin à Vision Future à Nice, vont ouvrir une fenêtre nouvelle sur le monde, une fenêtre violente certes, mais réaliste. Une manière d’apprécier le rôle primordial des artistes dans l’évolution des pensées. La biennale 2014 de l’UMAM va au-delà de la violence. Entre la violence et l’espoir il y a la tolérance, l’acceptation de l’autre, la faculté d’espérer. Et si Marat estimait que c’était par la violence que l’on pouvait établir la vérité, c’est aujourd’hui par l’art que l’on acquiert la liberté.

Christian Gallo - © Le Ficanas ® - Photos : Gallo

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