jeudi 24 janvier 2019

Sonia Delaunay - "Le Livre Blanc" chez Patrick Raynaud, Marseille

Vernissage : 27 janvier de 18h00 à 21h00
Exposition : jusqu'au 17 février 2019 sur rendez-vous

#7 clous à Marseille


Sonia Delaunay - Le Livre Blanc

Dans les années 1960, l'auteur et éditeur Jacques Damase rencontra Sonia Delaunay pour une interview et un article qu'il publia dans une fameuse revue d'art de l'époque, au joli nom de "Plaisirs de France". Quelques jours après cette publication, pour lui exprimer sa satisfaction, Sonia Delaunay lui fit livrer une gouache (connue sous le nom de "Rencontre"), accompagnée d'un mot manuscrit lui disant qu'elle aimerait le revoir. Une collaboration amicale et fructueuse commençait, qui allait durer au quotidien plus de quinze ans, jusqu'à la mort de Sonia en 1979.

Jacques Damase, jugeant le travail de Sonia quelque peu occulté par celui de son mari Robert, décédé bien des années auparavant, entreprit un lourd travail de mise en valeur sous toutes sortes de formes: expositions, monographies, catalogues, rétrospectives, films (dont j'eus le privilège de signer la réalisation), lithographies, tapisseries, multiples, dont un simple passage sur les réseaux peut donner une idée de l'ampleur.

Sonia se retrouva dans la lumière et manifesta une créativité juvénile dont je fus le témoin au long de toutes ses années; "j'ai encore beaucoup de choses à apprendre, à mettre au point dans ce que je fais" dit-elle dans la bande son de mon film "Prises de vue pour une monographie". Et ses derniers mots adressés à la personne qui l'aidait à s'habiller le matin de sa mort furent: "dépêchez-vous, j'ai encore beaucoup de choses à faire aujourd'hui!", et elle s'éteignit.

Pendant dix ans, en parallèle à mon travail dans le cinéma, ma proximité avec Jacques m'amena à côtoyer Sonia très régulièrement, à lui servir d'assistant sur divers projets de commande publique ou privée, mosaïques, costumes pour "Six personnages en quête d'auteur" à la Comédie Française, ainsi qu'à effectuer 40 heures d'interview sur sa vie et son oeuvre pour le film qu'elle me commanda sur le travail de Robert Delaunay, lesquelles furent transcrites et adaptées dans le livre "Nous irons jusqu'au soleil" aux éditions Robert Laffont.

Pendant toutes ces années, j'entendais Sonia et Jacques parler du "livre blanc", c'est ainsi qu'ils appelaient le carnet de travail où Sonia proposait des gouaches et des dessins dans l'idée d'alimenter comme elle le dit dans son exergue "l'inspiration" de Jacques. Certaines de ces gouaches ont donné lieu à des éditions de lithographies, ou de tapisseries, une autre a été arrachée "parce que mauvaise"(ainsi que l'écrit Sonia sur la page opposée), quelques autres manquent, dont une, retrouvée par ailleurs, et dont la déchirure du papier correspond... Au total 38 oeuvres à la gouache, au crayon, au fusain ou même au stylo bille, qui n'ont jamais été vues par personne qu'eux deux. Jacques donnait des petits noms à ces gouaches que Sonia ne titrait pas spontanément: "Rencontre", mais aussi "Serpent noir" "Carré rouge" "L'affreux Jojo", c'était leur manière de parler des oeuvres sans s'embrouiller et ce sont devenus les titres des oeuvres éditées.

Sonia a dédicacé ce cahier à Jacques par deux fois, en 77 et en 78, comme pour bien signifier l'importance de leur collaboration. Après la mort de Sonia il ne l'avait jamais montré à personne, pas même à moi, comme s'il s'agissait d'une chose précieuse, intime, qui ne valait que par ses échanges avec Sonia, et dont il se contentait de n'être plus que le dépositaire, jusqu'à sa mort à lui en 2014.
Près de cinq ans plus tard, et après mûre réflexion, j'ai décidé de cesser de garder pour moi ces oeuvres d'une fraîcheur, d'une spontanéité et d'une virtuosité admirables dont j'avais hérité. Il ne s'agissait pas d'une suite, mais d'une successions de travaux autonomes, signés individuellement pour la plupart, étalés sur plusieurs années et se terminant sur un des rares dessins figuratifs de Sonia: une esquisse de portrait au crayon de Jacques lui-même. Cette hétérogénéité m'autorisait je pense à démonter "le livre blanc" pour mettre au jour séparément des travaux qui appartiennent avant tout à l'histoire de l'art.

Cependant, une documentation photographique effectuée avec soin pourra éventuellement permettre l'édition d'un fac-similé de qualité, Sonia ayant toujours défendu, avec les artistes du Bauhaus, la reproduction, l'édition, la démocratisation de l'art jusque sur les tissus et les robes des femmes, les gilets des hommes ou les livres d'art, comme la fameuse "Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France", dont "tous les volumes déployés ensemble auraient dû faire la hauteur de la tour Eiffel".

J'ouvre "Le livre blanc" au public, chez moi à Marseille où je poursuis mon projet "7 clous à Marseille" (septclousamarseille.com), et j'espère pouvoir partager avec le plus grand nombre ces moments de recherche à la fois modeste et magistrale que furent les gouaches pour Sonia Delaunay, quand son grand âge ne lui a plus permis de s'attaquer à de grandes toiles; "bien sûr, j'aimerais faire de grandes toiles, encore, mais on peut très bien s'exprimer par des petites annotations" dit-elle encore dans le film qui sera présenté en parallèle tout au long de l'exposition.

Patrick Raynaud


Galerie Patrick Raynaud
150 Rue de Crimée
13003 Marseille
Et jusqu’au 17 Février sur rendez-vous 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire