mercredi 10 août 2016

Beatriz Moreno - UMAM 70 ans - Aspremont

L’univers de Beatriz Moreno est un univers inquiétant. Dans la vieille demeure de famille, baignée de nuit, sous un ciel sans étoiles, les ancêtres revivent d’une vie inhabituelle. Plus qu’un rêve, il s’agit d’une mise à nu de leur véritable identité. On ne connait jamais personne. Encore moins les morts, ceux de l’an passé comme ceux des siècles désormais évanouis dans la poussière du temps. Un long et impossible frisson nous traverse. Les voilà donc, rendus à leur vérité, arborant enfin leur vrai visage. Il était chat et le voilà chat. Au siècle des siècles. Il était loup. C’est pour l’éternité. Il était papillon. Il le demeurera. Hiératiques, hautains, bardés de fer ou de taffetas, je viens d’eux, de leur dérisoire splendeur.


Rien de monstrueux là pourtant. Inquiétant certes mais d’une beauté qui est celle que confectionnent les songes. Il s’agit de fixer la terreur, de lui donner image. Enfants, nous aimions le diable, les chimères et les croque-mitaines, les bêtes fabuleuses. Enfants, le péché nous hantait. L’art de Beatriz Moreno est très catholique. Au sens d’universel mais aussi au sens où, au moyen d’un travail étonnamment minutieux, revit devant nous la grandeur séculaire de l’Espagne. La photographe artiste se mesure à son passé, à celui des vieux palais et des tours de Tolède. Tout un cortège d’ombres... toute une merveille éteinte. Et eux à face d’autruche ou de lémurien, figés, grotesques... On songe à certaines pages de La route des Flandres par Claude Simon. On songe évidemment à Jérôme Bosch, à Francisco de Goya, à Salvador Dali. Sur le plan photographique, Beatriz Moreno a été marquée par Julia Margaret Cameron, Fox Talbot, Eugène Atget. Entre autres.
Les sentinelles de Tellus montent la garde. Tellus était la divinité romaine de la terre, la Gaia des Grecs. Tellus fit sortir du sol toutes les générations, les reprit ensuite pour en dissoudre les éléments et en tirer des existences nouvelles. Tellus a représenté le monde des morts en compagnie des Mânes. Tellus était associée à l’union maritale et à la procréation. Mort et vie. Là où elles se rencontrent. On invoquait Tellus avant de procéder à la moisson. On nommait la terre et on la touchait avec ses mains. Saint-Augustin l’évoqua, en la divisant entre son principe masculin et son principe féminin.

C’est un message muet qui nous est adressé, une mise en garde, un appel, un commandement. « Linquitur ut merito maternum nomen adepta terra sit, e terra quoniam sunt cuncta creata » écrit Lucrèce dans de Natura Rerum (V, 796). Il reste que c’est à juste titre que la terre a reçu le nom de mère, puisque tout est produit par la terre. » L’invention des sentinelles par Beatriz Moreno et donc le titre qu’elle a choisi s’expliquent ainsi, par la conscience aigüe qu’elle a des dangers qui menacent notre planète. Tellus Mater est celle grâce à qui le cycle vie/mort/renaissance peut exister. Tellus est « l’arbitre souveraine du monde, refuge des morts et régulatrice du renouvellement des existences. » Elle est passeuse de mondes, ordonnatrice des grandes mutations du vivant.

Il y a message mais c’est peut-être aussi à une nouvelle foi que nous appelle Beatriz Moreno, à une nouvelle mouture du culte ancien. Il ne s’agirait alors pas seulement de s’ouvrir à la gravité de la déesse et de ses sentinelles mais de répondre à une invite : celle d’en être, de les rejoindre. Réaliser en nous la fusion de l’animal et de l’humain, pour une nouvelle expérience du monde, pleinement poétique cette fois.

Eric Paul

Exposition du  13 août au 11 septembre (mercredi, samedi, dimanche 14h30-18h30)
Chapelle des Pénitents Blancs à ASPREMONT
VERNISSAGE : vendredi 12 août à 19 heures.

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