Il y a l’architecture avec un grand A ; celle des grands prix de Rome, des chefs d’état, des dictateurs ; officielle, imprégnée d’histoire et souvent de prétention. Il y a l’architecture avec un petit a ; celle de l’administration, des timides, des sans effort, des sans esprit. Il y a l’arTchitecture avec un grand T, celles des inventeurs, nouveaux facteurs chevaux, correspondant à la création, à l’art. Il y a aussi la Chitecture, sans art, sans vie, le vomi des hommes d’affaires et de ceux qui n’ont aucun respect pour l’être humain. Guy Rottier*
Lorsque Guy Rottier lance ce cri du cœur, il a déjà un long parcours mais pour beaucoup de monde dans le sud de la France, le nom Guy Rottier, dans les années 1990/95, est celui d’un rêveur aux projets délirants, peut- être artiste et architecte, surtout en bonne relation avec l’Ecole de Nice, constructeur de la maison D’Arman, en lutte avec le néo-provençal qui sévit dans la région. Peu de personnes connaissaient le parcours rocambolesque de cet homme aux talents multiformes, né aux Indes Néerlandaises en 1922, ingénieur et architecte, passé par l’atelier de Le Corbusier, venu de l’Indonésie aux Pays Bas, de Grasse au STO en Allemagne, de Nice, à la Syrie jusqu’au Maroc. Ses recherches pour une ville souterraine sont mal connues de même que celles liées à l’architecture et urbanisme prospectifs. Guy Rottier, un des premiers, à avoir créé des plans d’architecture solaire, d’architecture de terre, d’architecture écologique, écrit Michel Ragon en 1989.
Autoportrait et Rottier interrogatif devant ce panneau du village de la Drome |
Le MAMAC avait bien présenté en 1992 une première exposition « Guy Rottier : réalisations et architectures inventées 1947-1990 ». Mais c’est fin d’année 2017 /début 2018, que le Forum d’Urbanisme et d’Architecture de la Ville de Nice, a vraiment mis à l’honneur cette figure mythique, dont il est dépositaire d’archives personnelles et inédites, grâce à sa famille. Guy Rottier disparu depuis à peine cinq ans après un demi- siècle de vie à Nice et sa région, restait toujours moins connu ici que dans le reste de la France et à l’étranger où ses dessins et maquettes sont dans les collections publiques. A présent, ses archives inventoriées et étudiées, sont protégées. Odette sa fille, initiatrice de cette donation familiale s’en réjouit, comme de cette exposition bien nommée, Guy Rottier, archives du futur * où sont présentés des croquis, correspondances, des objets utilitaires, des dessins d’architecture de recherche, maisons sponsorisées, architecture de loisir, qui permettent de suivre ses recherches parmi les formes rêvées et les formes concrètes, et de mieux connaître l’homme. Toute sa vie il s’est attaché à réinventer la ville et la maison avec des projets audacieux aux plus près des besoins des hommes en tenant compte de l’environnement. On y découvre ses propositions futuristes et imagine ses désillusions.
Au cours de ce premier grand volet présenté au public, apparait une personnalité riche, aux contacts multiples et variés. Ne disait-il pas… « On ne rencontre que ceux que l’on veut bien rencontrer » ce sera …Le Corbusier, Charles Barberis, Michel Ragon, Bernar Venet, Jean- Marc Reiser. Mais aussi Claude Parent, André Bruyère, Jean Prouvé, Yona Friedman, Ben, Arman, Lucien Hervé, ou Paul Emile Victor, Eugène Claudius-Petit. Pourvu d’un imaginaire plus que fécond, il est lui-même peintre, musicien, dessinateur, photographe, épistolier, bricoleur, humoriste, architecte, urbaniste, ingénieur, enseignant, voyageur, inventeur et visionnaire.
Une vie singulière, qui commence par les chamboulements du siècle dernier, avec des revers de fortune familiaux. Enfance à Sumatra puis à Rotterdam, puis la Côte d’azur, Grasse. Néerlandais, rapatrié en tant qu’étranger à La Haye, c’est la guerre. Plus tard, diplôme d’ingénieur en poche, il aspire à faire architecture aux Beaux- Arts de Paris. Français depuis 1948, après une rencontre avec Wogensky, collaborateur de Le Corbusier, il harcèle Le Maître qui finit par le recevoir et lui confie l’encadrement des travaux de la Cité Joyeuse à Marseille, alors qu’il n’est pas architecte mais simple dessinateur, ce seront trois ans de plongée dans les idées d’architectes, ingénieurs, designers du monde entier et en amitiés qu’il gardera toute sa vie. Diplôme en poche ensuite, petit à petit il vole malgré lui de ses propres ailes et signe sa première œuvre, une villa pour jeunes mariés à Rueil Malmaison et continue ses contacts théoriques avec les anciens du « Corbu ». Avec Charles Barberis, réalisateur du cabanon à Roquebrune Cap Martin, il poursuit le développement de maisons de vacances industrialisées et reste toujours influencé par le Corbusier. L’Ecole de Nice et certaines individualités très fortes influencent dit-il, ses recherches. La maison escargot, les maisons sur fil, la maison de vacances volante, sont présentées à la manière d’un happening, Rottier a toujours aimé emprunter des chemins de traverses.
Odette Rottier devant les meubles exposés |
Odette Barberis-Rottier aime parler de sa relation filiale amicale avec Guy, en traversant l’atelier réservé aux enfants, elle s’attarde sur leurs pliages- collages et constructions de maisons en papier qu’ils suspendront en final sur un fil. Il suffit de quelques pas pour arriver aux croquis de Guy Rottier lui-même, des architectures de loisir prévues pour être habitées quelques semaines, parfois même une seule nuit, échappant aux permis de construire et aux tergiversations sur le terrain : maisons volantes suspendues au-dessus du sol, habitations lunaires, extraterrestres que l’on découvre au cour de la visite et encore, la ville solaire troglodyte dans le Baou de Saint-Jeannet, et même les maisons enterrées. Maisons d’un jour, ville gonflable, cube déplié habitable, immeubles inhabitables, autant de titres humoristiques et d’hypothèses, de recherches, beaucoup d’écrits, un livre avec Reiser, que de jeux de liberté !
Liberté, passion pour la recherche et l’expérimentation qu’il transmet par le professorat à l’université pendant une vingtaine d’années en Syrie et au Maroc. Des œuvres construites à Rabat en témoignent (des espaces publics, ou scénographiques, un marché). Ses dernières formes portent d’une manière prémonitoire sur une économie des ressources naturelles : des suspensions ou étagères avec des boites de conserves de récupération, design d’occasion avec des canapés en chemises usagées, des colliers avec transistors, clous et élastiques. Principe d’économie déjà utilisé par ses constructions de maisons sponsorisées, Gloria, Gitanes, La Vache qui rit, qui permettent à des clients de minorer le coût de construction par un apport d’une redevance publicitaire !
De Belvédère, de 1987 à 2013 où il s’installe en revenant du Maroc il poursuit ses projets et reçoit des architectes, artistes, cinéastes, curieux de ses leçons et de ses recherches, créé son groupe Les Conspiratifs, il reçoit un vrai courrier de ministre, correspondance à laquelle il répond avec l’enthousiasme d’un découvreur- précurseur jusqu’à la fin de sa vie.
Sur la terrasse de la Villa Laude_Dujardin |
Parcours de l'exposition |
Brigitte Chéry le 6 juin 2018
Photo copyright Béatrice Heyligers
*Guy Rottier ArtTchitecte de l’Insolite, Z’ éditions
L'exposition a eu lieu de décembre 2017 jusqu'à la fin mai 2018, au
Forum Urbanisme et Architecture
89 route de Turin
06300 Nice
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