Dans le cadre des 70 ans de la création de l'UMAM par Matisse et Bonnard, l'UMAM présente sa sixième exposition à la Chapelle Sainte Elisabeth de Villefranche-sur-Mer en partenariat avec la ville de Villefranche-sur-Mer.
Le travail céramique de Marc Alberghina ne théorise pas. Il s’abreuve à l’expérience du réel, véritable matrice de l’imagination et du désir. C’est dans son propre vécu, dans la rencontre du merveilleux comme de l’intolérable, que se sont forgés, dans une dialectique oppressante, les mouvements de révolte qui sont à la source de ses pulsions artistiques.
Pour autant, Marc Alberghina ne cherche pas à se réfugier dans des édens complaisants ou des ailleurs mythiques. De même a-t-il rejeté les postures d’un art militant, vaguement teinté d’anarchisme, qui marquaient ses premiers essais et qui se sont révélées une impasse. Désormais, c’est Vallauris et tout l’héritage vallaurien qu’il entend questionner à la manière d’une mère ou d’une maîtresse, suscitant à la fois haine et amour, fascination et angoisse.
C’est au centre de ces questionnements que l’artiste peut créer une œuvre véritablement critique et agissante, dont l’inquiétude sous-jacente dialogue pleinement avec ces cohortes d’artistes, qui, d’un bout à l’autre de la planète, interrogent les cultures populaires pour rétablir l’homme dans sa dignité sans rien nier de sa complexité.
Marc Alberghina a grandi et baigné dans l’atmosphère lumineuse et colorée, industrieuse et ludique du Vallauris des années soixante, avant que la marchandisation et le tourisme de masse n’exercent leurs ravages. Comme il est normal, ses débuts furent tâtonnants. Une solide formation céramique lui a conféré une maîtrise exceptionnelle des techniques du tournage et du coulage, mais ne l’a pas orienté exclusivement vers cette profession. Il s’est essayé, non sans succès du reste, à la sculpture et à l’art du métal, tout en travaillant pour le compte de divers fabricants de céramique utilitaire. Il assiste cependant, et pour l’heure impuissant, au déclin apparemment inexorable du monde artisanal de sa ville d’élection, soumise aux impératifs d’un mercantilisme vulgaire et agressif dont la rançon est la fermeture de nombreux ateliers. Il ne trouve pas grand réconfort du côté de la céramique élitiste, celle-là même qui s’expose aux Biennales de Vallauris, qui semble s’enfermer dans le culte de la forme et de la pièce « propre ».
Le choc sera tardif, mais il sera décisif. Il intervient en 2006, quand Yves Peltier, un remarquable connaisseur de la céramique contemporaine, prend en main la direction de la Biennale. Le nouveau commissaire général marque d’emblée cette manifestation de son empreinte : excellence des savoir-faire, dans la meilleure tradition de Vallauris, mais aussi large ouverture internationale et pleine inscription de la céramique dans tous les renouvellements et audaces de l’art contemporain.
Dans cette volonté d’oubli réparateur, Marc Alberghina jette aux orties sa production antérieure pour se consacrer pleinement à la céramique, passant du même coup du statut d’artisan à l’exigence de l’artiste. Avec opiniâtreté, et non sans panache, il élabore un art délibérément polémique et dérangeant, un registre fort peu pratiqué dans la céramique française, mais qui retient assez vite l’intérêt de la critique et des collectionneurs. Après une exposition prometteuse à Paris en 2009, trois de ses œuvres – Nougatine, Usine et Offrande – sont sélectionnées pour la Biennale de Vallauris de 2010. Depuis, il expose régulièrement dans diverses galeries, à Nice notamment, et dans des centres culturels.
Au stade actuel de sa production, il n’est pas aisé de caractériser l’œuvre de Marc Alberghina tant elle se prête, par sa complexité même, à des regards croisés. Avancer que cet artiste appartient, de façon chronologique et esthétique, à cette lame de fond venue de la côte Ouest des États-Unis, et qui, dans sa réaction antiformaliste, a ouvert la voie à une figuration délibérément critique, n’est pas inexact. Une œuvre comme Offrande relève bien de cette transgression ravageuse des codes du bon goût, s’agissant des restes d’un festin singulier où se lisent clairement les pratiques d’un cannibalisme qui peut être aussi bien celui des sociétés modernes que celui du syndrome vallaurien. De même, Usine, une structure désaffectée surmontée d’une tour-cheminée décharnée, renvoie à un monde déshumanisé réduit à l’état d’ossuaire et se prête à cette double lecture.
Dans sa prédilection pour les squelettes, les crânes, les ossements, on peut déceler l’influence du baroque morbide de l’Europe méridionale, redevable sans doute aux origines siciliennes de l’artiste. Mais Marc Alberghina sait jouer de bien d’autres registres qu’il combine avec virtuosité : le galbe classique de ses autoportraits, les réminiscences kitsch qu’il distribue çà et là, et surtout le sens inné de la couleur et la richesse de ses émaux, hommage à la tradition de Vallauris qu’il revendique pleinement.
Qu’il s’agisse de la trilogie de ses Saint-Sébastien au corps torturé, de son Picasso crucifié la tête en bas, de ses épaisses langues sanguinolentes, Marc Alberghina ne craint pas les sujets qui dérangent. Mais ce n’est pas provocation gratuite, moins encore racolage facile. Outre que sa large culture confère à son travail toute une gamme de références iconographiques à l’art ancien, son œuvre explore, sans concession certes, mais avec une infinie compassion, les pathologies de l’homme moderne au cœur des mythes de l’humanité souffrante.
Patrick FAVARDIN
VERNISSAGE : Vendredi 15 Janvier 2016 à 18 heures
Expsoition jusqu'au 15 février 2016
Chapelle Sainte Elisabeth - Rue de l'Eglise - Villefranche-sur-Mer
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